jeudi 6 décembre 2012

Pirates without a sky - 3

Après avoir parlé pendant les précédents billets de l'équilibre difficile de la presse vidéoludique entre lectorat et éditeurs, et de la position encore plus délicate de cette presse quand elle appartient directement à un éditeur de jeux, voici cette fois un billet sur un des aspects sociaux du fameux « Doritos Gate » : les événements organisés pour la presse, par les éditeurs.

Chapitre 3 : Party games


Dans le long rituel d'annonces, trailers et leaks qui permettent de faire vivre médiatiquement un jeu dans les mois qui précèdent sa sortie, un des aspects jusque là les moins connus du grand public est celui des événements organisés pour la presse, principalement des soirées et des voyages.
A l'origine ces événements ont deux buts avoués : d'une part permettre de présenter des jeux en avant-première aux journalistes qui souhaiteront en parler (utile quand on veut faire une preview un peu de temps avant la sortie du jeu dans le commerce) et d'autre part donner là encore aux journalistes concernés l'occasion d'essayer un jeu dans des conditions « optimales » (confort, détente, configuration de machine, etc.). Mais si ces événements et présentations sont de très bonnes sources d'informations exclusives (et l'exclusivité est un ressort clé dans la concurrence entre rédactions) et parfois de rencontres et d'interviews avec des développeurs, designers et concepteurs de jeu, c'est aussi l'occasion d'établir une relation de convivialité et de sympathie entre journalistes et chargés de relations presse, une proximité qui peut avoir une influence parfois mal prise en compte sur la façon de parler des jeux concernés.
Soyons honnêtes, on n'achète pas des journalistes avec deux bières et trois petits fours (où alors c'est qu'ils sont encore plus mal payés que ce que je pensais), mais on développe grâce à ces événements une connotation agréable autour des jeux concernés, et une sympathie qui même si elle est totalement sincère, peut toujours s'avérer problématique lors de situations de tensions (les situations de tensions entre presse et édition, il peut y en avoir, et il est toujours plus compliqué de devoir se fâcher avec un ami qu'avec un RP inconnu). D'ailleurs, comme le mentionne Erwan Cario dans le podcast de Silence, on joue ! consacré la semaine dernière à la question, si les éditeurs dépensent autant sur ce genre d'événements, c'est qu'ils estiment que cela vaut le coup en terme de retour sur investissement.

Des jeunes qui sont dans l'ambiance


Quand on suit certains journalistes spécialisés en jeux vidéo sur twitter, on a parfois l'impression que pour être dans le coup, il faut être à certaines soirées. Les soirées de lancement d'une part, qui ont généralement lieu dans une grande enseigne de distribution, sont ouvertes à tous et permettent aux joueurs les plus pressés d'acheter leur copie du dernier jeu à la mode la nuit même de sa mise en vente, et d'autres part les soirées plus confidentielles, réservées aux journalistes et aux blogueurs les plus en vue.
 
Je ne vais pas revenir en détail sur le concept marketing que sont les soirées de lancement où les éditeurs et commerçants jouent au maximum sur l'attente créée autour d'un jeu pour mettre en scène une dynamique d'achat précipité et utiliser cette image comme argument de vente ensuite (si les gens font la queue pour l'acheter le jour même, c'est bien que ce jeu doit être le jeu de l'année, n'est-ce pas?). Je noterai surtout que comme il a déjà été dit, toute la valse de critiques et de notes de la presse vidéoludique ne représentent plus grand chose quand de toute façon les joueurs vont acheter les jeux avant même que les premiers tests soient publiés. Dans la couverture journalistique d'un jeu, la critique n'est que la conclusion du dossier, ce qui compte maintenant, c'est tout ce qui se dit avant la sortie officielle du jeu.
Et justement pour cela il y a les soirées presse, des soirées pendant lesquelles les journalistes se voient présenter un jeu, parfois peuvent l'essayer (pas tout le temps, cela dépend aussi du niveau de finition du jeu), le tout souvent dans un endroit agréable, avec boissons et petits fours pour aider tout le monde à se sentir l'esprit détendu. Avec un peu de chance il y a moyen d'interviewer un game designer ou un des graphistes du jeu, ce qui assure un reportage qui intéressera le lecteur et puis c'est toujours l'occasion de revoir quelques confrères et d'échanger informations off et bons plans.
Pourquoi en parler ? En quoi cela peut-il être un soucis ? On peut se le demander. Des journalistes qui vont rencontrer des créateurs et reviewer des jeux en avant première, c'est leur métier non ? Le soucis c'est souvent le cadre. L'air de rien l'alcool et la bonne ambiance qui accompagnent ce genre d'événements sont quand même de nature à améliorer sensiblement l'impression, si ce n'est le sentiment, qu'un journaliste va ressentir autour d'un jeu. Quand on doit animer une communauté, on sait que tout le monde est beaucoup plus réceptif et conciliant quand il a le ventre plein et un verre à la main. De même, le contexte festif facilite le développement de relations de sympathie (et avec le temps d'amitié) entre journalistes et représentants des maisons d'édition. Finalement c'est un petit milieu, et on trouve souvent des deux cotés des passionnés qui ont souvent de bonnes raisons de s'entendre. Mais ces sympathies ne facilitent pas toujours les choses, quand par hasard un jeu s'avère moins bon que prévu ou quand une fois dégrisé, le journaliste se rend compte que finalement il n'a pas vu grand chose du jeu et serait bien en peine pour en parler autrement qu'en reprenant à son compte le communiqué de presse qui lui a été lu pendant la soirée.
Cela fait donc de ces soirées un outil dangereux à manier pour beaucoup de journalistes, au point même que certaines rédactions édictent en règle que le journaliste se rendant à une soirée de ce genre ne doit pas faire la critique finale du jeu concerné, histoire d'assurer une pluralité de points de vue et conserver au niveau de la rédaction l'objectivité qui pourrait se perdre au niveau individuel. Mais ces soirées sont souvent un mal nécessaire, et finalement restent peu de chose à coté des press tour, qui pour le coup sont de véritables machines à vendre du rêve à la presse.

Vers l'infini et au-delà


A l'origine des « voyages de presse », on peut souvent trouver des arguments potentiellement défendables : un éditeur qui ne veut pas que des copies de son jeu circulent en avance sur la commercialisation (par crainte entre autre du piratage), qui commercialisant son jeu sur plusieurs plate-forme (ou sur PC) veut s'assurer que les journalistes puissent tester le jeu sur des configurations de machines aptes à fournir une expérience de jeu à la hauteur ou plus simplement qui préfère que les journalistes essaient le jeu dans le calme et le confort d'un cadre prévu à cet effet plutôt que dans une salle de rédaction bruyante et contexte à des interruptions diverses (téléphone, collègues, etc.) ou contexte plus compliqué entre autre (pour les pigistes n'ayant pas de bureau et travaillant chez eux, avec autour du jeu tout un contexte familial à gérer, cela existe après tout).

Ceci dit en quelques années, les éditeurs sont passés de « inviter les journalistes 48h dans un hôtel pour qu'ils testent le jeu en toute quiétude » (ce dont Arrêt sur images parle ici [abonnement payant]) à « organiser un voyage au bout du monde avec visites et activités et éventuellement l'occasion de mettre les mains 30 minutes sur le jeu histoire de ». Clément Apap parlait justement la semaine dernière dans Silence on joue ! d'un voyage de 5 jours organisé autour d'un jeu et où il avait refusé d'envoyer sa rédaction, et dans un autre registre, on peut trouver sur jeuxactu.com ainsi que sur Nolife Online [abonnement payant] des images du press tour organisé par Square-Enix autour de Sleeping Dogs (oui, ils ont emmené les journalistes dans un strip club ou assimilé, tout le monde voit le rapport avec la couverture d'un jeu, n'est-ce pas?).
 Évidemment les journalistes qui participent à ces voyages le font avec les mêmes raisons que pour les soirées presse : découvrir un jeu en avant-première pour se faire une idée dessus et interviewer quelques personnes intéressantes. Mais encore plus que pour les soirées presse on peut se demander à quel point les bonnes impressions créées par ces voyages ne sont pas de nature à biaiser l'impression que les journalistes auront sur les jeux.
Je suis meneur de jeu depuis une quinzaine d'années, et je sais que quand je veux vraiment réussir une partie de jeu de rôle, rien de tel que de travailler un peu l'ambiance autour de ma partie. Une musique appropriée en fond sonore, un peu de décoration, un repas dans le thème, rien de tel pour renforcer l'immersion des joueurs, et passer du statut de « bonne partie » à « partie mémorable ». Si mes joueurs se prennent au jeu et passent un bon moment, ils auront de toute façon tendance à fermer les yeux sur les quelques défauts techniques de la partie et à n'en garder que le positif.
Un press tour, c'est un peu la même idée à une autre échelle : quand un journaliste vient de passer 3 jours à explorer Hong Kong et à jouer au gangster dans une suite d’événements organisés autour du thème d'un jeu et que finalement il lance le jeu dans un cadre étudié pour, avec un petit quelque chose à grignoter et des gens autour présents pour veiller à ce que tout se passe bien, son expérience est forcément différente par rapport à ce qu'il vivrait s'il lançait le jeu chez lui, avec des factures qui traînent sur la table, des voisins qui font du bruit et un colocataire/parent/enfant/conjoint qui l'interrompt pour telle ou telle raison. Le graal vidéoludique, l'aboutissement de ce que doit être un bon jeu, c'est cet état d'immersion désigné par les anglo-saxons par suspension of disbelief (oui désolé je le laisse en Anglais, les tentatives de traduction française de l'expression sont vraiment trop pataudes), le moment où le jeu vous extrait de votre quotidien et où vous jouez, absorbé par le jeu. Dans un press tour, tout un contexte est créé autour du jeu pour faciliter cette immersion, comment un journaliste peut-il alors juger de la vraie capacité du jeu à l'emporter, alors que la moitié du boulot est déjà faite avant qu'il ne prenne la manette ?

Comme sur les sujets précédents, il est évident que le contexte d'un press tour ne va pas faire qu'un journaliste va se mettre d'un coup à encenser un jeu indubitablement mauvais. Là encore, l'influence se fait à la marge, entre un 16 et un 17 sur 20 (pour ceux qui aiment tant les notes), mais elle ne peut pas être complètement niée, et plus on observe les dépenses faites par les éditeurs pour vendre leurs jeux à la presse, plus on est en droit de s'inquiéter du biais que cela peut impliquer dans la couverture journalistique des jeux.
Et juste pour vous faire une idée, rien que l'aller-retour à Hong Kong coûte facilement un millier d'euros. Une pige pour feu Mer7 se négociait aux alentours de 50€. Je n'irai pas accuser les journalistes d'être vendus aux éditeurs (je n'ai rien me permettant de l'affirmer, et ceux que je connais me semblent quand même faire des efforts pour garder la tête froide), mais la tentation doit quand même parfois être grande.


A suivre...

lundi 3 décembre 2012

A never-ending Jyhad

Depuis vendredi la WiiU de Nintendo a débarqué officiellement dans les magasins et dans les chaumières des plus passionnés. Spécificités techniques, offre de jeux, pénuries plus ou moins organisées (unboxing, hum hum...), tous les aspects traditionnels d'un lancement de console vont être largement couverts par la presse habituelle qui voit là l'occasion de très bons sujets à traiter en attendant les sorties de Noël. Les lancements de nouvelles consoles, j'en avais déjà parlé ici-même au début de ce blog, je ne vais donc pas revenir dessus maintenant, surtout que je n'aurai rien à ajouter par rapport à ce qu'on trouve déjà dans le domaine. Mais je vais ici profiter de cette sortie pour lancer une question qui occupera très probablement les historiens du jeu vidéo dans quelques années quand ils reviendront sur cette période. Je vous averti, il s'agit là de pure spéculation intellectuelle par forcément intéressante pour le grand public, du fluff d'universitaire en quelque sorte.

Donc la question pernicieuse que je me pose en ce moment, est de savoir si comme la plupart l'indiquent la WiiU marque bien le début de la 8° génération de consoles, ou si elle ne serait pas en réalité le dernier avatar tardif de la 7° génération, celle de la Wii, de la PS3 et de la Xbox 360 (je vous avais prévenu hein).
Si l'on part simplement du constat qu'une console appartient forcément à la génération suivant celle de sa prédécessrice, le calcul est simple : la Wii est reconnue comme console de 7° génération, après la Gamecube (6°), la Nintendo 64 (5°), la Super Nintendo (4°) et la NES (oui, la NES est l'antédiluvien du clan Nintendo, si vous voyez un jour une NES se réveiller, courez, vite). Cependant, si l'on cherche à marquer par cette notion de génération des phases d'évolution du matériel plus qu'un simple ordre de succession, la question devient plus compliquée, chronologiquement et surtout technologiquement.
Sur le plan de la chronologie, la WiiU arrive à une période charnière. Les consoles dites next-gen se font vieillissantes, vieillissement qui appelle à une nouvelle génération de matériel, mais aucune autre console de 8° génération n'a été présentée ni annoncée (à part quelques leaks opportuns, mais c'est surtout une question de communication et de marketing). Chronologiquement donc, la WiiU sera probablement plus proche en terme de date de sortie des prochaines consoles 8° gen qu'elle ne l'est de la PS3 (qui a fêté ses 6 ans le mois dernier), mais elle pourrait être relié à n'importe lequel des deux ensembles (7° ou 8°) sans que cela ne crée de réelle incohérence.
Du point de vue de la technologie utilisée (et du line-up de lancement), la question est encore plus intéressante. Au final la dernière Nintendo semble plus ou moins se contenter de rattraper ses concurrentes de Sony et Microsoft : résolution HD (1080p) et portage de jeux clairement estampillés « 7° génération », cela évoluera potentiellement avec les jeux qui sortiront dans les deux ans à venir, mais la console ne semble pas taillée pour aller plus loin. Elle rattrape donc mais ne dépasse pas, Nintendo préférant éviter la course à la puissance (graphique notamment) et comme avec la Wii jouer sur un nouveau contrôleur et de nouvelles possibilités de gameplay. Mon intuition (pour le coup étayée par zéro sources, je joue juste au pifomètre et je peux me tromper) me laisse à penser que les prochaines PS et Xbox iront jouer du coté des résolutions 4K natives en stéréoscopie, ou en tout cas essaieront de s'en approcher. La WiiU a donc de fortes chances d'être battue à plat de couture au jeu des résolutions, et sa techno et ses possibilités, la rapprochent davantage d'une 7° génération tardive que d'un début de 8° génération.
Donc autant chronologiquement que technologiquement, l'ancrage de la WiiU comme « première console de 8° gen » ne résistera pas forcément à l'épreuve du temps. La Wii elle-même aurait pu être sujet à un débat similaire sur le plan technique (c'est finalement une Gamecube rafraîchie avec de nouveaux contrôleurs) mais sa date de sortie, prise entre celle de Xbox 360 et celle de la PS3, a fait que la question ne s'est pas vraiment posée (parce que des générations qui se chevauchent, c'est trop compliqué à suivre). Au final cette question n'intéressera donc que ceux qui aiment se prendre la tête, argumenter et classifier les choses, mais bon, ça n'est pas forcément moins intéressant qu'un n-ième unboxing de console (« Oh ! Elle est noire ! Quelle surprise ! »).

Je vous avais prévenu, ce soir c'était juste un billet de pure masturbation intellectuelle. Si vous avez lu jusqu'au bout et que vous vous êtes ennuyés, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes.