Après avoir hésité
longuement sur les orientations de mon blog personnel et ma capacité
à le tenir actualisé assez régulièrement, j'ai décidé de
provoquer une scission avec moi-même et de lancer un second blog en
parallèle. Pas simplement par soucis de dissension et schizophrénie
personnelle, mais pour lancer une série de billets à part sur un
sujet qui me tient à cœur : le jeu vidéo. Alors que mon blog
d'origine restera centré sur les thématiques de l'université et de
« ma vie de prof qui se cherche », celui-ci sera
concentré entièrement sur la question vidéoludique, et traitera
d'analyses et d'opinions personnelles (mais étayées) sur
l'évolution du jeu vidéo et son actualité. Et quoi de mieux pour
lancer un blog que de justement parler de lancement, et en
l’occurrence du lancement d'une nouvelle console sur le marché.
Oui, Nintendo a présenté
il y a deux semaines les caractéristiques de sa nouvelle WiiU, ainsi
que son line-up de lancement et la liste des jeux prévus à 6 mois
environ. Les réactions ont été diverses et variées, de
l'engouement immédiat à la haine pure, en passant par le
scepticisme poli. Le point ayant fait couler le plus de larmes et de
pixels étant certainement l'annonce de la sortie de Bayonetta 2 en
exclusivité Nintendo sur WiiU, comme si l'image résolument
« familiale » de Nintendo devait à jamais dégrader
l'image de cette licence orienté « jeunes adultes ».
Je ne vais pas ici
encenser ou descendre Nintendo, cela n'est pas le but. Concernant la
WiiU je reste circonspect, et j'attends que la console
soit implantée sur le marché pour voir si l'offre de jeu suit et si
les différents studios volontaires arrivent à en utiliser le
nouveau périphérique (le fameux gamepad à écran tactile) pour en
tirer des idées de gameplay originales et bien pensées. L'une des
grandes difficultés de Nintendo ces dernières années, outre son
image « jeu familial » qui en détourne les joueurs se
voulant « purs et durs » (notion toute relative) est bien
son manque d'attractivité du coté des éditeurs tiers, refroidis
par le manque de sécurité anti-piratage et la complexité
d'adaptation à ces toujours nouveaux périphériques de jeu
(d'ailleurs Sony et Microsoft ont connu exactement le même genre d’écueils avec le PS Move et Kinect). Pour moi l'intérêt
principal de cette séries d'annonces récente est surtout de pouvoir
revenir sur le jeu d'équilibriste que constitue le lancement d'une
nouvelle console.
En effet ce genre de
lancement demande d'atteindre un point de convergence entre 3
catégories d'individus : l'équipementier (qui produit la
console), les studios et éditeurs (qui vont développer et publier
des jeux sur la console) et les joueurs (qui vont acheter console et
jeux).
L'équipementier a à
cœur de vendre sa console au plus large public possible, tout
d'abord parce qu'il va faire un profit sur la vente de la console qui
lui permettra d'amortir ses coûts de R&D (ou dans le cas de Sony imposer dans les foyers une nouvelle norme de disque numérique) et
ouvrira un marché pour vendre des jeux (avec souvent perception d'un
droit de l'équipementier) et des accessoires additionnels
(bénéficiant souvent d'une plus grande marge que la console
elle-même, question de stratégie de vente). Il a donc intérêt à
gonfler rapidement son offre de jeux et à attirer les joueurs au
plus vite.
Les studios et éditeurs
vont eux vouloir bénéficier pour leurs jeux du meilleur marché
possible (en quantité de joueurs) et vont donc surveiller de près
les chiffres de vente pour s'assurer qu'ils publient sur des
équipements leur permettant potentiellement d'atteindre leur seuil
de rentabilité (s'il faut écouler 500 000 copies d'un jeu pour
rentabiliser son développement et que vous développez sur une
console écoulée à seulement 400 000 exemplaires, autant abandonner
tout de suite). Se lancer ainsi sur une console avant même son
lancement (donc sans avoir le recul de son accueil par le public) est
donc pour eux une entreprise hasardeuse.
Finalement le
joueur/consommateur va vouloir avant d'investir dans un équipement à
quelques centaines d'euros s'assurer qu'il trouvera des jeux
intéressants dessus. Pour cela il va scruter attentivement le
line-up et les annonces des éditeurs avant le lancement de la
console, et regarder quelles sorties viennent dans les premiers mois.
Et là c'est comme un
soufflé : si le lancement est bien mené ça prend et ça
gonfle : quelques éditeurs, séduits par le support, jouent le
jeu et prennent un peu de risque, cela génère un line-up attractif
qui fait venir les joueurs. Les premiers chiffres de vente de la
console rassurent les éditeurs qui aboutissent leurs projets et
attirent des éditeurs supplémentaire, les sorties et annonces des
premiers mois font venir une deuxième vague de joueurs qui renforce
le marché, et démarre un cercle vertueux qui va tenir jusqu'à ce
que la console soit dépassée par des concurrents plus performants
ou attractifs.
Par contre si le
lancement ne prend pas on tombe dans la tendance inverse : les
éditeurs n'osent pas prendre le risque financier de se lancer sur
une console qui ne leur inspire pas confiance, le public a
l'impression du coup qu'il va gâcher son argent sur un support qui
ne verra pas assez de jeux publiés, du coup la console ne s'écoule
pas, ce qui renforce éditeurs puis joueurs dans leur stratégie de
méfiance, cercle vicieux conduisant à l'abandon de la console en
question.
Il est donc intéressant
de constater que d'un point de vue de stratégie des jeux, si tous
les acteurs se comportaient de façon purement rationnelle aucune
console ne pourrait marcher : aucun éditeur n'a intérêt à
développer et publier un jeu sur un support tant qu'il n'a pas assez
de clients potentiels, et aucun joueur n'a intérêt à acheter une
console tant qu'il n'a pas au moins 5 ou 6 jeux à acheter en vue.
Ainsi chaque acteur devrait normalement attendre que l'autre prenne
le risque à sa place et toutes les consoles devraient donc échouer.
C'est là qu'entre le vrai savoir faire de l'équipementier :
créer par sa technologie et ses annonces un climat de confiance qui
donne confiance à la fois aux joueurs et aux éditeurs.
Bien entendu il existe
pour cela des méthodes qui facilitent la vie. Tout d'abord proposer
un produit technique qui « donne envie » aux éditeurs
comme aux joueurs. C'est par exemple la promesse de la Wii à son
époque, une console ouvrant d'une part sur des gameplays originaux
et accessibles (pour plaire aux joueurs) et d'autre part sur un
marché plus large que le public console habituel (pour plaire aux
éditeurs). En contrepoint de Nintendo, Sony et Microsoft ont eux
joué beaucoup plus sur le potentiel purement techniques de leurs
machines next-gen (et surtout sur la HD) pour attirer les publics
cibles.
Ensuite une bonne idée
pour l'équipementier est de se faire lui-même éditeur de jeu :
en créant ses propres licences à succès ou en s'attachant des
studios en exclusivité, l'équipementier peut alors assurer son
propre line-up qui attirera les premières vagues de joueurs, le
temps d'assurer la confiance des éditeurs tiers.
Finalement la chose la
plus importante sur laquelle puisse bâtir un équipementier est son
image de marque. Sony, Microsoft et Nintendo ont tous les trois des
réputations à même de rassurer les éditeurs et des aficionados
qui achèteront leurs consoles sans sourciller ni se poser de
question. Une telle image prend beaucoup de temps à se mettre en
place et peut parfois prendre un tour inattendu. Par exemple
Nintendo, à vouloir s'ouvrir au marché des seniors tout en attirant
un public jeune, s'est créé une image d'équipementier familial
tourné vers le jeu « casual » et a beaucoup de mal à
combattre cela, même en annonçant Bayonetta 2 et ZombiU. Le
positionnement d'un équipementier sur son marché est donc
primordial pour savoir qui va acheter ses consoles, et donc les jeux
susceptibles de sortir dessus.
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